Ma kopine C. m'envoie un lien sympa : la France des écrivains, carte collaborative. Moi, forcément, ça me botte, et je cherche des textes sur la Bretagne pour enrichir la carte. Là, je me rappelle que monsieur de K quand il était petit habitait rue Émile Souvestre, et il y a une rue de même nom à Rennes, ce bonhomme a donc sûrement écrit des pages d'anthologie. Donc me voilà partie fouiller dans les Wikisource et autres G*oglebooks (parce que, bien sûr, je n'ai jamais rien lu de cet écrivain du 19e). Et là je tombe sur un truc pas piqué des hannetons !
Si vous passez jamais, le soir, dans la belle rue de la Mairie, à Brest, quand vous serez vis-à-vis cette bizarre façade où le pinceau du décorateur a figuré, sur une vaste devanture de tapissier, les marqueteries brodées d’arabesques de la renaissance, arrêtez-vous, et vous aidant de quelques charrettes déposées en face du beau magasin, hissez-vous jusqu’au sommet du petit mur qui domine le Pont de Terre, et alors regardez dessous.
À cinquante pieds plus bas, vous apercevrez, à travers un voile de vapeurs puantes, une sorte de cloaque au milieu duquel se groupent quelques maisons croulantes, auxquelles on arrive par une rampe fangeuse et sans pavés. De là sortent incessamment je ne sais quels miasmes horribles qui sentent le vice et la pauvreté, et s’élèvent, chaque nuit, des cris d’orgie ou de lutte, des bruits de pleurs ou de prière ; d’étranges soupirs que l’on a peine à reconnaître, et que l’on peut prendre également ou pour le sourd gémissement d’un plaisir farouche, ou pour le râle d’un assassiné.
Ce quartier s’appelle le Pont de Terre. C’est là que le matelot, féroce des ses désirs comprimés pendant une longue campagne, vient rugir ses amours et se rouler dans le vin avec une femme louée à l’heure.
Émile Souvestre – L’échelle des femmes - 1857